John Knowles : Blood Oranges

15 juin — 20 juillet 2012 / June 15 — July 20 2012

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Laroche/Joncas a le plaisir de présenter une exposition personnelle de l’artiste montréalais Jon Knowles.

Dans tous ses projets, Knowles met en situation une structure conceptuelle qui embrasse le contexte, le site, la documentation, le langage, l’écriture et le quotidien. Sa pratique inter médiatique est principalement mobilisée par une approche discursive tablant sur des éléments issus de l’histoire de l’art et de la culture populaire. Il conjugue également ces éléments à d’autres enjeux tels que la consommation, la distinction culturelle et la représentation.

Parallèlement à Blood Oranges, Jon Knowles présente également une autre exposition individuelle, Mixed Misuse, à la fonderie Darling. Knowles a participé à des expositions collectives au Musée d’art contemporain de Montréal, au Kunstverein de Düsseldorf, à Pavillon Project (Montréal), Cooper Gallery (Dundee, Écosse), Eyelevel Gallery, Anna Leonowens Gallery, Dalhousie Art Gallery (Halifax). En 2010, il a organisé Blooming Flowers on the Coffee Table à Artexte en collaboration avec Vincent Bonin. Comme membre du collectif Knowles Eddy Knowles, il a réalisé des projets, des performances et des expositions pour TENT (Rotterdam), Portikus (Frankfort), Apex Art (New York), Presentation House Gallery (Vancouver), Form Content (Londres), Fabrica del Vapore (Milan), Centre de recherche urbaine de Montréal, Museo Studio del Tessuto (Come), The Store/Vitamin Creative Space (Peking) et la galerie Leonard & Bina Ellen (Montréal). Knowles présentera un nouveau projet au Vox Centre de l’image contemporaine (Montréal) en 2013.

Oranges sanguines [1] réuni une douzaine de tableaux amorcés en 2010 et complétés in situ, à la galerie Laroche Joncas. Ils ont été installés sur les murs et recouverts de plusieurs couches de peinture. Je les ai ensuite retirés de l’aire d’exposition pour y substituer un réplique en papier d’un cendrier. Les tableaux seront en montre dans les bureaux et les espaces d’entreposage de la galerie pendant les heures d’ouverture. Je les exposerai également dans une suite de l’hôtel Hyatt, le 16 et le 23 juin, entre 16 et 22 heures.

Ces tableaux déplacés sont le résultat d’une quête privée qui repose elle-même sur un protocole prédéterminé, tout cela dans l’objectif de susciter des activités en atelier. Autrement dit, il s’agit d’œuvres sans finalité et conçues expressément pour me mettre au travail. Cependant, ne confondons pas ce procédé avec la poursuite traditionnelle de A) la transcendance ou B) le vide. Ces tableaux sont avant tout des outils pour générer d’autres situations et oeuvres. Ultimement, ils me guident vers des projets sans liens apparents avec ce mode de production. L’héroïsme de la peinture monochrome est aussi minimisé. Je préfère m’investir dans un registre d’actions plus détendues et proches de ces exercices de dessin en atelier auxquels on se livre afin de lâcher prise [2].

Ces tableaux ont été imprégnés de 200 lavis de polymère acrylique dilué des couleurs primaires selon la séquence suivante : le jaune, le rouge et le bleu. J’ai additionné cette triade ad infinitum jusqu’à ce que la surface devienne uniformément noire. Au cours de ce procédé, l’eau colorée s’est partiellement évaporée, mais le bois l’a également retenue. Ainsi de suite, à plusieurs reprises…La concentration conduit à l’absorption, puis donne lieu à la saturation. La saturation occasionne invariablement de la distraction. Le processus et le système sont d’abord synchrones avec une forme de conscience de faible niveau qui se rompt ensuite dans la contingence pure et possiblement, la négation ou la critique. Les tableaux mettent à l’épreuve l’omniprésence des écrans plats de nos téléviseurs et ordinateurs devant lesquels nous nous asseyons pour compulser la liste du travail à faire, ou les courriels restés sans réponses. Entendus comme gestalts, les monochromes et les écrans plats sont, en eux-mêmes, des objets chargés de sens. Le monochrome et l’artisanal (le savoir-faire de l’artiste) suscitent récemment un regain d’intérêt. Cette réactualisation survient sans nul doute comme réaction à la prolifération du référentiel, ainsi qu’au formatage de la connaissance dans le champ de l’art.

En voyant ces tableaux pour la première fois, un ami m’a rappelé le fantasme non réalisé de Gerhard Richter lorsqu’il espérait créer une usine afin de produire des monochromes. Un autre peintre suggérait quant à lui que j’en fasse un million d’exemplaires pour les vendre à un dollar l’unité. Sous le couvert d’un compliment équivoque, il exprimait, bien entendu, un certain mépris. Ces anecdotes évoquent aussi le voeu de Marcel Broodthaers de présenter uniquement ses oeuvres les plus insincères lors de sa première exposition dans une galerie commerciale. Or en disant la même chose aujourd’hui, je mettrais en doute que ces tableaux constituent aussi un hommage libidinal honnête à mon professeur de peinture.

« Une chose stupéfiante advient lorsque la logique de l’abstraction picturale, sa nécessité interne, ne nous permet plus de recourir aux concepts trop commodes de signe et de signifiant ou de nous réfugier dans une philosophie de la représentation et de la réflexion, ou encore, dans une conception simple et régressive de l’imagination, de l’imaginaire, voire du fantasme. Au lieu de mettre l’emphase sur différents types d’écritures, une histoire des modes de production du sens pourrait aborder les formes picturales comme symptômes surdéterminés d’une relation sociale de production et d’échange. Cette histoire est nécessaire pour fonder toute approche théorique de l’abstraction. Mais elle ne sera concevable qu’une fois filtrée à travers le prisme critique et polémique d’une pratique picturale entendue comme une question de méthode. » (Jean Joseph Goux, ‘The unrepresentable’ 1973)

Comment écrire de façon convaincante et sans irritation sur ma formation de peintre quand à vrai dire, ce legs pédagogique m’a été transmis dans l’ambivalence, le paternalisme et souvent, l’hostilité manifeste? Quelles stratégies faut-il adopter pour se distancier un tant soit peu d’une éducation qui valorise une forme de sublimation contextuelle viciée et triste? La réponse se trouve-t-elle dans un corpus d’oeuvres « tardives » paradoxalement préventives? Somme toute, il serait bien pire que mes tableaux deviennent des ersatz d’un certain sérialisme pictural aspirant à l’autonomie.

La peinture est alternativement à point ou hors-jeu, spécifique ou générale, chaude ou froide, morte ou vivante. Ainsi de suite, maintes et maintes fois, etc., etc. Lorsqu’il fut installé, le tableau flottait devant ce mur lui-même peint et repeint, mais au cours d’une période beaucoup plus longue. (Jon Knowles, 2012)

[1] Il s’agit d’une expression traduite de l’allemand — « blutorangen » — utilisée par Siegfried Kracauer pour décrire l’ascension sociale des cols blancs dans la république de Weimar. « L’orange sanguine » est seulement motivée par la protection de ses intérêts personnels et cache ses opinions véritables pour réussir dans le milieu du travail. Elle est orange à l’extérieur et rouge à l’intérieur. Voir : Walter Benjamin, « An Outsider Makes His Mark, » dans Walter Benjamin : Selected Writings, Vol. 2, partie 1, 1927-1930 (Walter Benjamin), Cambridge, Belkamp Press, p. 310–311n7.

[2] Cette détente n’est pas venue sans une juste part de doute et d’anxiété. Je me suis remis sérieusement à peindre en emménageant dans un très grand atelier. J’ai dû alors réfléchir à un ensemble de nouvelles contraintes spatiales et conceptuelles. Je me sens mélancolique, amer et triste en pensant à ce professeur de peinture qui a mis fin à ses jours en 2009, au moment où je m’habituais à travailler dans cet atelier. Pour toutes les heures de sérénité imprégnées dans ces panneaux de bois, il faut compter le double d’heures d’inquiétude. Ces tableaux représentent une tentative de m’acclimater aux institutions du champ de l’art et à certains de ses protagonistes. Ils me permettent également de réinvestir les idées reçues, les problèmes et leurs solutions apparentes transmises par une génération antérieure.

— english —

Laroche/Joncas is pleased to present a solo exhibition by the Montreal artist Jon Knowles.

In all of Knowles’ projects, the artist develops a conceptual structure and a situation that pays special attention to context, site, documentation, written language and the everyday. He is motivated primarily by a discursive approach that seeks out peculiar elements from art history and popular culture while subjecting these elements to questions about consumption, cultural distinction and representation, resulting in an inter-media based artistic practice.

Jon Knowles concurrent solo exhibitions include Blood Oranges at Laroche/Joncas and Mixed Misuse at the Darling Foundry. Knowles has participated in group exhibitions at The Musée d’art contemporain de Montréal, Düsseldorf Kunstverein, Pavilion Projects (Montreal), Cooper Gallery (Dundee Scotland), Eyelevel Gallery, Anna Leonowens Gallery, Dalhousie Art Gallery (Halifax). In 2010, Knowles organized (along with Vincent Bonin) Blooming Flowers on the Coffee Table for Artexte. As a member of Knowles Eddy Knowles he has produced commissions, performances, and exhibitions for TENT (Rotterdam), Portikus (Frankfurt), Apex Art (New York), Presentation House Gallery (Vancouver), FormContent (London), Fabrica del Vapore (Milan), Centre de Recherche Urbaine de Montréal, Museo Studio del Tessuto (Como), The Store/Vitamin Creative Space (Beijing), and Leonard & Bina Ellen Art Gallery (Montreal). Knowles will present a new project at Vox Centre de l’image contemporaine during the spring of 2013.

*For Blood Oranges [1] I have made a dozen or so paintings that were started in 2010 and completed on-site in the Laroche Joncas gallery. These paintings have been installed on the gallery walls (several more coats of paint have been applied), only to then be removed and replaced with a scaled-down paper replica of a public ashtray. The paintings that were taken down can be accessed in the gallery office, the on-site gallery storage space, and also viewable in a hotel suite at the Hyatt Regency on Saturday June 16th and 23rd from 4pm – 10pm.

These removed paintings represent a private pursuit designed with a pre-determined protocol, all for the strict purpose that other tangential activities would emerge in the studio. In other words, they are “make-work” works without end. They do not signify the traditional pursuit towards either A) transcendence or B) the void. These paintings are meant to provide a path leading to more (possibly unrelated) projects. The heroicism of monochrome painting is thoroughly downplayed and instead I prefer to honour something more casual and relaxed, something akin to drawing exercises in the studio all for the sake of “loosening up”. [2]

With these removed paintings, the supports have been uniformly stained with over 200+ layers of diluted acrylic polymer in primary colours. First a yellow, then red, finally blue. This triad of washes is administered over and over, ad infinitum until it reaches a near blackness. Over the course of this process, the coloured water partly evaporates, but much of it is absorbed into the wood. So on and so forth, over and over etc… Concentration leads to absorption, which then leads to saturation. Saturation invariably leads to distraction. Process and system are a form of low-level consciousness that seeks to break into a form of total contingency, and possibly negation and critique. The paintings are put to work in order to visually confront our now ubiquitous high-definition flat panel television and computer screen sitting blankly at our desk reminding us how much more work we need to do, how many more emails we need to answer. As iconographic gestalts, both monochrome and flatscreen are signifying objects in their own right. We are also in a moment where both the monochrome and the artisanal (ie: return to skill, artist as etsy salesperson making perfect screen happy pictures) are finding a renewed interest, no doubt due to the proliferating referentiality and knowledge production packaged up in art.

One friend, upon seeing these works for the first time reminded me about Gerhard Richter’s (unrealized) fantasy to create a monochrome factory. Another painter – no doubt as a cynical dismissal intended as a backhanded compliment – suggested I make a million and sell them for a dollar. This reminds me of the oft-quoted conceit by Marcel Broodthaers (for his first commercial gallery exhibition), that he would present only his most insincere artworks. But if I was to make the conceit of insincerity, of course this might raise some doubts as to any intended earnestness for these works to be honest libidinal tributes to my painting teacher. Only thing left is a negation of negation.

“Something staggering has happened when the logic of pictorial abstraction, its internal necessity, no longer allows refuge in the overly convenient concepts of sign and signifier or in a philosophy of representation and reflection or, again, in a simple, regressive conception of the imagination, of the imaginary, even of phantasy. A history of the modes of signifying could take, instead of the various types of writing, the forms of painting for the overdetermined symptoms of a social relationship of production and exchange. This history is necessary for any theoretical approach to pictorial abstraction. But at the same time, this history is conceivable only from the vantage point of the critical and polemical site of abstract painting – as a question of method.” (Jean Joseph Goux, ‘The unrepresentable’, 1973)

How do I convincingly write without irritation about my painting education experience if that pedagogical imprint had been grounded in ambivalence, paternalism and sometimes outright hostility? How do I also work through this? How to push away from an education that promotes a stale and dreary form of contextual sublimation? Is the answer to put forth a body of pre-emptive ‘late’ artworks?

Painting can be either on or off, specific or general, hot or cold, dead or alive. So on and so forth, over and over etc, etc. The paintings when they were first installed floated in front of the wall which itself had undergone a similar process of painting and repainting over a much longer period of time. (Jon Knowles, 2012)

[1] A term translated from the german “blutorangen” used by Sigfried Kracauer in his study of the Weimar republic’s emergence of the white-collar worker. The blood orange is only really motivated to protect their own self-interests and conceal their true opinions in order to succeed in the workplace. Orange on the outside, red on the inside. (Walter Benjamin, “An Outsider Makes His Mark,” in Walter Benjamin: Selected Writings, Volume 2, part 1, 1927-1930 (Walter Benjamin). Cambridge: Belknap Press, 2005: 310–311n7)

[2] This looseness has not come without a fair share of doubt and anxiety. I have really returned to painting in earnest as a way to think through a series of spatial and conceptual predicaments that I have found myself in since moving into a very large studio facility. There is also a melancholy, bitterness and sadness when reflecting on my memories of a painting-teacher who took his own life in 2009, the same time I moved into my current studio. For all the seemingly serene hours embedded in these wood panels, there is double the amount of hours filled with trepidation. These paintings represent my attempt at trying to come to grips with the institutions (and certain individuals) of art. There is an interest for me in trying to make something of the networked painting: namely the assumptions, problems, and supposed resolutions passed down from previous generations.