Gabriel MorestSuture
Suture
17 novembre – 22 janvier.
Vernissage en présence de l’artiste: samedi le 20 novembre, 15h-18h / Opening with the artist, Saturday November 20, 3:00-6:00pm
À première vue, tout va bien. Peinture, sculpture, mais quoi, au fait? Ce ne sont pas des illusions, pas des figures, c’est bien pire : ce n’est pas abstrait! C’est si concret qu’on a envie de toucher. Ce sont des images en processus et des objets en composition, quelque chose qui se fait dans le mouvement. Ces objets, aucun usage ne les attend, aucune pression ne les dévore, ils se tiennent souverains dans leur équilibre statique, jamais précaires.
Mais pourquoi ne pas parler de peinture? Ces images cherchent une voie entre la représentation et le geste: ni l’une ni l’autre, ils nous libèrent des deux. Et pourtant. Ces grands tableaux évoquent la neige cathodique d’un écran de TV, dans le brouillage sans confusion qui s’y déploie. Quels mots correspondraient à cette forme de motif sans leçon ni message? Pourquoi est-ce que je trouve ça politique?
On y voit quelque chose comme notre paysage, on y reconnaît les hiéroglyphes inconséquents d’une époque décidément opaque, la ville et ses aménagements sans ménagements, les délires de ceux qui administrent le désastre. Le pouvoir, qu’en est-il? Le pouvoir de l’image, qu’est-il aujourd’hui pour nos yeux fatigués? Et les formes, dans tout cela; peuvent-elles faire autre chose que de glisser sur la surface de notre sensibilité?
Les sculptures sortent de terre, formes libérées qui s’élèvent contre la gravité. Elles ne sont pas posées sur des socles, elles émergent de ces prismes formant une portée musicale immatérielle : il y a du rythme dans ces élévations, qui appelle le freejazz et les mystères objectifs de la nature, formes solides et coulantes, traces organiques pétries dans les glaçures. Sans explications nécessaires, on tend vers la rencontre d’époques passées et à venir, enfin libre dans l’inconfortable présent : potentialités du regard désenchanté, sans désespoir.
Entre les céramiques, le noyer noir, la mousse et la corde de nylon, entre ce qui descend, ce qui monte et ce qui pointe vers une direction invisible, les objets de l’ordinaire empêchent les matières nobles de snober l’art de la rue. La circulation des intentions brouille les pistes. Séduction du mélange : ça parle de l’égalité des chances chez les matériaux.
C’est doux sans être lisse, les aspérités de l’existence transparaissent aussi dans les tableaux de plâtres colorés. Le procédé intrigue, les accumulations sont évidentes sans se révéler, des figures se forment dans l’œil du regardeur, mais c’est la main qui veut sentir. C’est le monde qui passe au tamis pour finir dans ces objets à la fois mystérieux et tout-donnés, critiques jusqu’à la moelle sans un os de didactique.
Dans ce précieux contact avec une négativité qui n’est pas un refus, l’imparfait se rassure, le puissant perd ses billes et l’équilibre des valeurs dispose d’une nouvelle avenue. Avec ces ratures, coutures, gravures, Morest tend un miroir à nos êtres fissurés, à nos récits plein de trous, comme toute narration humaine.
Là se tient la politique de ces grands tableaux brouillés, de ces sculptures hybridées : ce qu’on y voit, principalement, c’est l’échec de la clarté, de l’aveuglant paradigme des images contemporaines, ici mis en ruine par un patient travail d’assemblage, où la visibilité des sutures importe plus que tout ce qu’elles pourraient avoir réparé.
Pascale Bédard
ENGLISH
Gabriel Morest
Suture
November 17 – January 22.
At first glance, everything is fine. Painting, sculpture, but what is the subject matter, by the way? These are not illusions, not figures, it is much worse: it is not abstract! It’s so concrete that you want to touch. They are images in process and objects in composition, something that is done in movement. These objects, no use awaits them, no pressure devours them, they stand sovereign in their static equilibrium, never precarious.
But why not talk about painting? These images seek a path between representation and gesture: neither one nor the other, they free us from both. And yet. These large paintings evoke the cathodic snow of a TV screen, in the unmistakable interference that unfolds there. What words would match this form of pattern without a lesson or message? Why do I find this political?
We see something like our landscape, we recognize the inconsistent hieroglyphics of a decidedly opaque era, the city and its blunt arrangements, the delirium of those who administer the disaster. Power, what about?
The sculptures rise from the earth, liberated forms that rise up against gravity. They are not placed on plinths, they emerge from these prisms forming an immaterial musical staff: there is rhythm in these elevations, which calls for freejazz and the objective mysteries of nature, solid and flowing forms, organic traces kneaded in glazes. Without the necessary explanations, we tend towards the encounter of past and future eras, finally free in the uncomfortable present: the potentialities of the disenchanted gaze, without despair.
Between the ceramics, the black walnut, the foam and the nylon cord, between what goes down, what goes up and what points in an invisible direction, the objects of the ordinary prevent the noble materials from snubbing the art of Street. The circulation of intentions blurs the tracks. Seduction of the mixture: it speaks of the equality of opportunity in materials.
It is soft without being smooth, the roughness of existence also shines through in the paintings of colored plaster. The process is intriguing, the accumulations are evident without revealing themselves, figures form in the eye of the beholder, but it is the hand that wants to feel. It’s the world that goes through a sieve and ends up in these mysterious yet all-purpose objects, critical to the core without a didactic bone.
In this precious contact with a negativity that is not a refusal, the imperfect is reassured, the powerful loses its marbles and the balance of values has a new avenue. With these erasures, seams, engravings, Morest holds out a mirror to our cracked beings, to our stories full of holes, like any human narration.
Therein lies the policy of these large scrambled paintings, of these hybridized sculptures: what we see there, mainly, is the failure of clarity, of the blinding paradigm of contemporary images, here destroyed by a patient assembly work, where the visibility of the sutures matters more than anything they might have fixed.
Text by Pascale Bédard